mercredi 12 août 2015


Enfin.

Les piolets sont posés. Les moufles et bonnets sont mis à sécher. Le feu crépite dans la cheminée et l'on songe au drapeau claquant au vent, preuve indéniable de notre achèvement de l'ascension.

Enfin, j'en ai terminé avec le PERFIDIA d'Ellroy.

The Dog is back !
Los Angeles, une famille nippone est retrouvée morte, les corps alignés les uns à coté des autres. La scène fait penser à un suicide général, un seppuku. Un mot annonçant l'apocalypse est retrouvé dans la salle de bain. 

La police de L.A, dans cette ambiance de guerre imminente avec le Japon et surtout à la veille de Pearl Harbor, veut se débarrasser au plus vite de ces crimes et cherche à fabriquer un coupable idéal. 

Hideo Ashida, d'origine japonaise, fait partie de la police scientifique. Il est tiraillé entre le besoin de faire son devoir de policier, l'envie de faire avancer ses inventions et recherches, et le désir d'être bien vu par un certain Dudley Smith, flic véreux.

Gros pavé goûteux, saignant et velu !

Plus de 800 pages de rage rentrée, de violence parfois contenue, le plus souvent explosive, d'hommes fuyant le sommeil à coup de bourbons et d'amphétamines en vente libre. Un portrait percutant et singulièrement nauséabond de l'Amérique paranoïaque post Pearl Harbor.

L'on présente souvent Ellroy comme un polardeux. Certes. Mais sa fameuse première tétralogie Le quatuor de Los Angeles (PERFIDIA est le premier volume d'un nouveau quatuor, un préquel, un prélude du premier), suivi de sa trilogie Underworld USA, livrent un portrait saisissant, cinglant des USA. Un auteur halluciné de romans historiques hallucinants. 

Bien sur, PERFIDIA repose sur un intrigue policière, une enquête sur un quadruple homicide mais cette investigation sert essentiellement à Ellroy de prétexte pour camper plusieurs personnages dont l'un qui a sa préférence : Hidéo Ashida, jeune technicien de la police scientifique. 

Brillant, rigoureux, et tourmenté. Il est Japonais et homosexuel. S'il arrive à cacher ses préférences sexuelles (et il fait bien), il ne peut nier ses yeux bridés, son origine ethnique. Ce qui, en ce Los Angeles hystérique de l'après bombardement de Pearl Harbor, est un poil problématique. 

Tonton Sam va en effet décider l'internement administratif de ses ressortissants d'origine japonaise, tous suspectés d'appartenir à une cinquième colonne mortifère. Cette politique d'ostracisme institutionnalisé fait le(a) lit(e) de magouilles immobilières poisseuses.

Ellroy a la magie des intrigues emberlificotées et des personnages (plus de 80 dans PERFIDIA) qui se tournent autour, s'entrechoquent, se pulvérisent et s'aiment aussi parfois. La jeune, jolie et rusée Miss Lake, cornaquée par le capitaine de police alcoolique Bill Parker (ayant réellement existé, et qui va finir à la tête du LAPD) va tenter d'infiltrer le milieu gauchiste d'Hollywood. Hidea Ashida essaye de sauver son cul donc, et sa famille sans trop laisser de son âme dans l'affaire, si possible...

Ellroy n'hésite pas à mêler dans son récit héros fictifs et réels. Ainsi Bette Davis, par exemple, est de la fête mais guère fêtée 

Et puis... Los Angeles.

Hum... Ça donne envie, non ?
La cité des Anges (bien planqués !)

Le L.A des années 40. Décomplexée  Antisémite décomplexée. Raciste décomplexée. Fasciste décomplexée. Homophobe décomplexée. Machiste décomplexée... Où l'on constate amèrement que oui, l'histoire est un éternel recommencement.

Mais les aminches, sur cette ville, sur ces êtres esseulés, plane une ombre phénoménale : celle de Dudley Smith. 

Incroyable caractère, personnage clé de l'oeuvre de James Ellroy. Dudley Smith, sombre Janus, provoquant des loyautés indéfectibles nonobstant les pires saloperies dont il est coupable. 

Il y gagne le sobriquet effrayant de Dudster. 

Dudley Smith qui magouille tout le temps, partout, avec tout le monde (et surtout les Chinois). Talentueux, violent, drogué et redoutablement intelligent, Smith ne s'embarrasse pas de scrupules, se déleste de l'empathie qui pourrait le freiner dans son destin.

Ses digressions , ses paroles, ses pensées, riches et denses, contrastent avec le staccato, sec jusqu’à l'os, Ellroyen. Sujet, verbe, complément et c'est marre. Ce style unique, quasi incantatoire par moment, sert admirablement une intrigue complexe, noueuse et acerbe. 

Ellroy est un foutu misanthrope mais il nous livre ici un héros presque positif : Hidéo Ashida et clôt son monumental pavé par une déclaration d'amour. 

L'analogie avec l’escalade n'est pas si incongrue finalement. La pente est raide, on en a parfois plein les chausses mais la vue flanque le frisson et une fois le sentier parcouru on ne regrette pas les efforts consentis. 

Vertigineux !

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